éveil et présence dans la pratique

Dans la vie normale, habituelle, ordinaire, il y a un manque d’éveil et de présence dans les expériences que nous vivons, qu’elles soient du domaine de l’émotionnel, de la sensorialité, de la mémoire ou autre encore. C’est justement cet état que les phénoménologues, comme Husserl, on nommé attitude naturelle, et qui est d’appréhender le monde comme quelque chose d’évident, d’immédiatement « donné ». Toute l’attitude des phénoménologues consiste à regarder ce comportement naturel comme une forme d’aveuglement et d’obstacle à la perception profonde de l’expérience dans toutes ses modalités (sensorielles, émotionnelles, pensées). (…)

Les phénoménologues appelaient « réduction », la suspension de ce comportement naturel, afin de pouvoir apprécier l’intensité et la profondeur de l’expérience immédiate. L’expérience vécue peut-être précisément définie dans ce cadre : c’est l’expérience, mais « révélée » par la réduction. Réduction veut donc essentiellement dire arrêt de tout l’automatisme habituel, de tous les flux, de toute la continuité de l’activité mentale, pour faire en sorte que l’expérience redevienne brillante, fraîche et neuve. C’est cela qu’exprimait Husserl quand il caractérisait la tradition phénoménologique comme étant le fait de « revenir aux choses mêmes » ; ce qui ne doit pas être compris comme étant une sorte d’objectivisme étrange, mais plutôt comme le fait de laisser l’expérience redevenir épaisse et pleine. (…)

Mais cette présence attentive, comme l’ont dit également les phénoménologues, n’est pas spontanée. Il faut la cultiver, en faire l’apprentissage et, comme tout geste, la répéter, l’acquérir de façon très progressive. On passe donc par toute les étape de l’apprentissage en commençant par être débutant, puis par avoir une certaine habileté, jusqu’à arriver à un niveau de maîtrise ou la technique n’est même plus nécessaire. Et alors l’attitude de lâcher-prise et d’espace devient totalement inséparable de la vie quotidienne.

Le corps et l’expérience vécue ; Francisco Varela.
Les Chemins du Corps ; Albin Michel, 1996