Par tradition, la médecine est conçue pour l’homme malade. Elle est tournée vers la réparation de la maladie à n’importe quel prix. Cependant, la médecine ne doit-elle pas sortir de sa « fonction curative », hypertrophiée, coûteuse et insupportable à terme sur le plan économique ? L’aménagement de la « fonction préventive » ferait évoluer la médecine du seul versant maladie/mort vers l’autre versant, celui de la santé et de la vie. Elle serait alors conçue pour les hommes bien portant, et pas seulement pour les hommes malades. (…) Si la médecine curative est plutôt l’affaire d’individus, les malades et les médecins, la médecine préventive est l’affaire de tous. (…)
Sur un bateau, tous les hommes doivent être bien portants(…). Le médecin de bord n’est donc pas seulement un hygiéniste, qui s’intéresse à la nutrition, aux conditions de vie sur le bateau, mais aussi un homme de prévision chargé de réunir les conditions nécessaires à la poursuite de l’objectif annoncé. Il se situe sur le versant de la prévention et de la vie, pour préserver l’équipage et pour faire vivre le bâtiment. Il ne passe du côté de la maladie et et de la mort que par accident.
Dans le même esprit, le médecin de l’ancienne Chine était rémunéré par les biens portants qui, sitôt malades, ne le payaient plus : ils devenaient ainsi des biens portants récalcitrants. (…)
LE « BUSINESS », C’EST LA MALADIE
À l’inverse, La formation de nos médecins et l’organisation de notre médecine privilégient la maladie et la mort aux dépens de la santé et de la vie. La santé est réduite par la médecine à l’état de son sous-ensemble, la maladie. (…)Le médecin est formé, conditionné, rémunéré pour cela. L’apprentissage de l’anatomie qui constitue encore une grande partie du savoir médical ce fait par dissection sur le cadavre. (…) L’étymologie même du mot « médecin » rejoint celle de soigner, de remède, d’amélioration. D’où l’idée de médecin « soignant » ou « distributeur de soins » comment on l’appelle aujourd’hui. Dès lors comment envisager une reconversion dans la prévention ? Car le business, c’est la maladie. Et tout ce qui rapporte ou permet d’être honoré dans le groupe social par les signes extérieurs de la réussite touche à la maladie : diagnostiquer, traiter opérer.
Docteur François RÉGNIER, LA MÉDECINE POUR OU CONTRE LES HOMMES, Belfond, 1976. p.25 et sq.