Tonicité musculaire et émotions

Pour le nourrisson, l’état de tension est associé au déplaisir, et la détente au plaisir. Tout le monde a pu effectivement constater que le bébé en état de besoin (qui a faim par exemple) manifeste un état de tension corporelle rapidement généralisée : il tend les bras, serre les points, redresse la tête en tendant son axe vertébral, jusqu’à crier ou perdre son souffle. Puis, dès que le besoin est satisfait, l’enfant se détend progressivement : ses membres se relâchent, sa respiration s’apaise. Le tonus à ici une fonction d’information des états de base du bébé, non parce que le bébé donne lui-même volontairement un sens à ses variations toniques, mais parce que, de fait, ses variations accompagnent de manière significative ses besoins, ses demandes et ses humeurs. Le tonus devient véritablement communication à partir du moment ou il trouve un écho dans l’entourage, qui lui donne sens et y répond à sa façon. (…)

Même quand le langage apparaît, le corps ne perd pas pour autant sa fonction expressive, ni ne disparaît de la communication. À l’âge adulte, la fonction tonique reste le véhicule d’une forte charge émotionnelle, comme un langage d’avant les mots qui continue à parler en amont ou au-delà des mots. La mauvaise répartition des tensions corporelles est un obstacle à l’aisance naturelle du corps, mais aussi à la fluidité psychologique de la personne ; car cela fonctionne dans les deux sens : un tonus trop élevé signe une surcharge affective, un non-dit ou un excès de stress ; en retour, il entretient la difficulté qui est à son origine. Comme les animaux qui raidissent leurs membres face à un danger, l’homme raidit son corps face à une situation difficile, qu’elle soit physique ou psychologique, ponctuelle ou permanente. Ses attitudes, postures, gestes, continuent ainsi à avoir un sens pour l’interlocuteur, sens aussi fort et si présent qu’il prime parfois sur le contenu verbal du message (par exemple, on reconnaît le mensonge ou la gêne à des attitudes corporelles en contradiction avec ce qui est dit).

Ève BERGER
Le mouvement dans tous ces états
Point d’appui, 1999