RELAXATION ET DÉTENTE ACTIVE

Avec la respiration et le travail sur le centre, la détente active ou relaxation active est une composante essentielle de la pratique de la Gymnastique Holistique Ehrenfried. La détente active s’obtient dans notre pratique par une mobilisation douce (c’est une action volontaire) des groupes musculaires. Chacun peut alors expérimenter les effets de cette décontraction musculaire sur la prise de conscience corporelle, sur le monde émotionnel (le psychisme), mais aussi sur la vie spirituelle. Cette tripartition un peu didactique ne doit pas nous faire oublier l’unicité (dans le sens d’indivisibilité) de l’être humain.

Pour aller plus loin, je vous propose quelques lignes (un peu techniques et plutôt orientées vers la psychologie) tirées de l’ouvrage de Philippe Brenot intitulé « la Relaxation » (Que sais-je ? N°929)

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Les modifications physiologiques induites par les états de relaxation nous amène cette réflexion apparemment simple, mais qui n’est jamais faite : toutes ces modifications vont dans le même sens, celui de la résolution musculaire, de l’hypométabolisme, de la réduction des rythmes cardiaques et respiratoires, de l’augmentation de la circulation périphérique, de la vasodilatation des extrémités, de la vasoconstriction du visage (Schultz), de la réduction du cortisol et, naturellement, de l’adrénaline. Cet état est tout simplement l’exacte antithèse des états de stress et d’anxiété qui accélèrent le métabolisme, sécrètent du cortisol et de l’adrénaline, accélèrent les rythmes cardiaques et respiratoires, vasoconstrictent les extrémités (sensations de froid et de picotement) et provoquent une vasodilatation intense du visage. Ces deux mécanismes, du stress et de la relaxation, sont parfaitement opposés dans leurs processus, notamment par la dilatation et la constriction des territoires vasculaires, car ils sont génétiquement programmés pour chacun d’entre nous. En cela, l’état de relaxation est avant tout un état anti-émotion, ç’en est sa meilleure définition.

En psychologie, les modifications subjectives de la relaxation sont constantes mais présentent des particularités que l’on pourrait dire « culturelles », selon la méthode et selon la représentation que l’on se fait de cet état que Wallace, parlant de la méditation, a proposé d’appeler « quatrième état de conscience », rappelant « l’état témoin » du Védanta, et le distinguant en cela de l’éveil, du rêve et du sommeil. Nous développerons ainsi quatre points fondamentaux en ce qui concerne les modifications psychologiques :

La régression somatique

est manifeste : il s’agit d’un état de passivité qui cultive l’involonté par des techniques pour la plupart apparentées à l’hypnose. Le cadre de cette régression doit être approprié, notamment par un affaiblissement des stimuli extérieurs favorisant ce « retrait du monde ». La monotonie des stimulations, des inductions, de la voix du thérapeute, utilise alors le mécanisme de la focalisation de l’attention sur un canal sensoriel unique (Broadbent), ce qui favorise la « concentration intériorisante » (Schultz) et n’est fondamentalement pas différent du mécanisme de l’hypnose, propriété commune à l’ensemble des vertébrés, et génétiquement déterminée. Le calme, le silence et la parole suggestive vont ainsi permettre la régression nécessaire à l’approfondissement de l’état de relaxation et à l’amortissement de la résonance des affects. De nombreux auteurs ont critiqué et souvent rejeté la dimension suggestive des relaxations. (…) La régression somatique peut enfin recouvrir les si fréquentes phases de sommeil qui jalonnent les états de relaxation, brefs assoupissements, microsommeil ou longs endormissements, interprétés comme une résistance à la relaxation par certains thérapeutes — c’est sûrement une réalité pour certains patients — mais qui peuvent, à mon sens, être considérés comme un élément positif dans la mesure où ils sont en général bien vécus et appréciés comme équilibrants et réparateurs.

La régression temporelle

est commune à tous les états de relaxation, mais plutôt développée dans les relaxations psychothérapiques, car le thérapeute y est particulièrement attentif. L’attention portée sur le corps et les inductions — parole, toucher — active la thérapie en favorisant la régression et la mobilisation des affects. Ce « retour en arrière » est une propriété de l’appareil psychique décrite par Freud pour signifier le retour du sujet à des étapes archaïques de son développement, propriété qui est aujourd’hui moins utilisée par la psychanalyse mais qui conserve beaucoup d’intérêt pour les psychosomaticiens (P. Marty). Dans le champ de la relaxation, ce concept de régression temporelle permet d’interpréter les cénesthésies, les sensations corporelles qui surviennent dans la séance, comme le retour de sensations refoulées, liées à des expériences infantiles et chargées d’affect, plaisir ou déplaisir. Un exemple peut en être celui de cette jeune fille très anxieuse qui ressentait une vive douleur le long de l’avant-bras lors de chaque séance. Le corps parlait en quelque sorte. Il fallut de nombreuses séances pour que lui vienne une évidence : « C’était le bras avec lequel je me protégeais de mon père lorsqu’il me frappait.» Ce retour des sensations vient comme une parole que le thérapeute se doit d’entendre et de laisser s’exprimer. La compréhension et l’interprétation de cette dimension refoulée constitue en effet l’intérêt majeur de la relaxation. Si l’on considère l’ensemble des relaxations, certaines méthodes y sont très attentives dans un cadre psychothérapique (Ajuriaguerra, Sapir, Ranty), pour d’autres ce n’est pas l’objet direct de la technique (Schultz, Jacobson, Alexander, Jarreau), d’autres disent se situer sur un plan non psychologique (sophrologie), d’autres encore méconnaissent cette dimension (méditation transcendantale) car se situant à un niveau dit « spirituel ».

La régression topique

est un autre concept freudien qui nous permet de nous repérer dans la structure de l’appareil psychique. Lorsque le corps s’abandonne en relaxation, ce n’est bien évidemment pas unique- ment le corps qui se « relâche », mais les structures mentales qui le constituent. Le « retrait » du monde extérieur favorise l’attention sur soi et modifie le rapport des instances psychiques entre elles. Lors de l’état de relaxation, comme dans le rêve, le fonctionnement de l’appareil psychique s’inverse en quelque sorte. La perception qui, à l’état de veille, commande le mouvement se trouve mobilisée par les pensées qui s’offrent maintenant à l’introspection. Le fonctionnement interne s’assouplit entre conscient, préconscient et inconscient, favorisant le retour des sensations, des affects, des souvenirs. L’état oniroïde de la relaxation, et parfois un véritable sommeil accompagné de rêves, remplit la même fonction. Ce caractère régressif du corps en relaxation facilite ainsi le retour du refoulé et la verbalisation. En cela, la relaxation est toujours un activateur de la psychothérapie.

L’actualisation de soi

est une notion moins conceptualisée, mais qui recouvre des perceptions, sensations, convictions, vécues par tous les sujets en relaxation, quelle qu’en soit la technique. J’emprunte cette expression à Maslow (1968) qui l’utilisait pour signifier l’épanouissement harmonieux dans la méditation transcendantale. Il me semble pouvoir recouvrir ce que d’autres auteurs ont nommé « présentification » (Minkowski), « intensification de la présence au monde » (Sapir, 1993) ou « présence à soi-même » (Kepès). La proposition philosophique hic et nunc de «vivre l’instant » se trouve littéralement réalisée en relaxation, d’autant plus si le sujet est en rupture avec l’anticipation anxieuse ou la réminiscence névrotique. La relaxation permet ainsi de vivre le corps «ici et maintenant », de le rendre présent au monde, de se rendre présent au temps. Cette actualisation de soi à travers l’expérience corporelle est une singulière subjectivité qui constitue peut-être la part la plus étrange, mais certainement très active des relaxations, puisque la psychologie ne sait comment l’exprimer, l’analyser, lexpliquer. On peut, je crois, rapprocher ce vécu de l’hyperconscience que rapportent les pratiquants des stades supérieurs des relaxations, des siddhis de la méditation transcendantale, qui disent « être toutes choses », ou encore de l’état « témoin », quatrième état de conscience yogique du Védanta.

Nous sommes maintenant aux confins de la psychologie et des états mystiques qui me semblent indissociables et ne dépendent essentiellement que du cadre dans lequel cette relaxation, ou méditation, se réalise. La psychologie n’a pas d’outil d’analyse de cette dimension, mais les termes choisis par les mystiques me semblent intéressants pour mettre un nom sur une part de l’expérience de relaxation. Je ne citerai que le processus d’unification qui se retrouve dans de nombreux courants religieux comme menant à la paix intérieure (bouddhisme, anciens chrétiens…) et qui se rapproche de sentiments ou sensations exprimés par les sujets en relaxation. La parenté est à mon sens très grande entre tous les états de relaxation, hypnotiques ou non, psychanalytiques ou non, traditionnels ou non, mystiques ou non, car ils sont l’expression de l’humain et de sa capacité à se ressourcer au plus profond de lui-même.